Vous avez affirmé à un confrère que vous avez frémi en entrant à l’hémicycle du Sénat le jour de votre rentrée parlementaire. Qu’est-ce qui a pu faire trembler le « roc » que vous êtes ?
Je voyais cette Chambre-haute si loin de moi. J’ai été recalée à l’élection de 2018. Si je n’avais pas été téméraire, cette fois-ci, je passais encore à côté de la plaque. Je me trouve élue par la force du travail. Croyez-moi, rien n’a été évident. Je le réalise à la dernière minute. En effet, quand j’arrive à Bafoussam (chef-lieu de la région de l’Ouest-Cameroun, circonscription électorale de Françoise Puéné, ndlr) la veille de la date butoir de dépôt des candidatures, j’étais loin d’imaginer que mon nom ne figurait pas sur la liste consensuelle de la région. J’ai été informée séance tenante que le choix a été fait unanimement autour d’un autre camarade.
Pourtant, c’est depuis plus d’une année que mes camarades et responsables du parti de ma circonscription électorale m’ont certifié que j’étais retenue. C’est sur la base de cette assurance que j’ai monté ma candidature. Quand je débarque donc à la maison du parti de Bafoussam ce dimanche-là à 14h, c’était pour déposer mon dossier. Ma surprise fut renversante. Il ne fallait pas me laisser abattre par cette déception. Il n’y avait pas du temps à perdre : ou on mon nom est dans la liste, ou je confectionne une deuxième liste concurrentielle. Rien ne l’interdisait dans le texte du parti que je connais bien. Je me demandais à quel moment le consensus a pu se faire autour du camarade en question. Il fallait qu’on me l’explique, moi qui suis une militante de base, ancienne conseillère municipale, ancienne présidente sous-section, puis de section du parti (le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, ndlr), la femme d’affaires la plus influente de mon département. J’ai compris qu’il y avait un jeu pour m’écarter. Je décide alors illico presto de constituer une liste concurrentielle pour en être la tête. Avec ma capacité de fédérer, j’ai mobilisé les gens autour de moi. J’ai mis sur pied un secrétariat permanent d’une dizaine de personnes en moins d’une heure. Il fallait passer au plus dur : trouver les membres de la liste. Il me fallait deux membres (titulaire et suppléant) dans chacun des huit départements de la région. Il fallait repérer les bonnes personnes et les convaincre, car comme il y avait une première liste, il y avait aussi un risque politique en faisant alliance avec moi. Autre challenge et non le moindre, il fallait que la liste réponde aux caractéristiques de la circulaire du président national sur certaines sensibilités : les femmes, les jeunes, les minorités, etc. Il n’était pas question de remplir la liste de figurants, mais des personnes qui ont un poids politique certain. J’avais seulement 24 heures pour faire tout cela. Et ce n’était pas tout : j’avais également 24 heures pour produire toutes les pièces administratives de ces personnes pressenties. J’ai chargé des jeunes d’investir les bureaux administratifs dès lundi à 7h30 pour avoir toute la paperasse nécessaire pour chaque candidat : les certificats d’imposition, les casiers judiciaires, les certificats d’imposition, etc. Comme je suis entrée à la maison du parti à 14h dimanche, j’en suis sortie le jour suivant à 14h, après avoir fait enregistrer ma liste.
C’était une démonstration de force finalement…
J’étais déterminée à briser le mythe de la confiscation du parti par certains camarades. J’ai pu montrer que rien n’empêche d’avoir des listes consensuelles au RDPC. Je maîtrise les textes du parti. J’avais en face des bulldozers et moi, je suis la foudroyante…J’avais un objectif à atteindre. Rien ne pouvait m’en empêcher. A la fin, il y a eu un mixage de listes, décidé au sommet du parti par le président national, dans l’esprit de justice et d’équité. Plusieurs membres de ma liste sont au Sénat, certains par élection, d’autres par nomination. Je prends cela comme une reconnaissance du travail de la militante de base que je suis. J’ai, moi aussi, combattu par le passé pour la stabilité du régime. Mon élection me procure une fierté légitime.
Avec quelles ambitions arrivez-vous au Sénat que d’aucuns qualifient de « Chambre froide »?
Le sénateur représente la collectivité territoriale décentralisée. Le sénateur est aussi là pour voter les lois. Je mettrai l’accent sur la justice qui me passionne, sur la dignité qui est en train de foutre le camp et sur la solidarité. Voilà ma trilogie. Si le Sénat est considéré par certains comme une « Chambre froide », je contribuerai à y apporter plus de vie, à faire bouger les lignes. Je donnerai le mieux que je peux… Je n’ai pas peur d’échouer, parce que l’échec est le fondement de la réussite. S’il est dur d’échouer, il est pire de n’avoir jamais tenté de réussir. Je compte m’épanouir dans la commission des affaires sociales où j’ai été affectée et qui me sied très bien. J’ai une sensibilité pour le social, car la grandeur se mesure dans la capacité à se mettre au service des plus vulnérables. Je vais apporter ma touche afin de marquer mon passage d’une empreinte indélébile. L’entreprenariat des jeunes et l’autonomisation des femmes me passionnent. Le Sénat me permettra d’agiter davantage ces cloches.
Rien ne vous destinait pas à la réussite. Les petits métiers peuvent propulser si facilement au sommet de la réussite ? On n’a pas l’impression que vous dites tout sur la constitution de votre fortune…
Je mets ma vie sur la place publique tout le temps. Je n’ai rien à cacher. Je suis une force de travail. Je travaille en visant l’excellence, même dans les petites choses. Les beignets que je cuisinais et que je vendais étaient les meilleurs. Quand je travaille, je suis appliquée. Je suis rigoureuse même dans ma proximité avec Dieu…Je suis la seule milliardaire du Cameroun qui ne cache pas détenir des avoirs. Simplement parce que mes biens sont traçables. D’ailleurs, je viens de commettre un livre dont la dédicace aura lieu le 7 juin prochain à Yaoundé. Je me raconte dans cet ouvrage de A à Z. Je n’ai pas de secret. J’ai bâti ma fortune Step by Step. Aucun autre milliardaire n’a le courage d’avouer sa richesse de peur probablement de ne pas pouvoir la justifier.
Vous avez été mariée à 15 ans, puis bannie de votre village d’alliance avant vos 20 ans. Quel était votre « crime » ?
J’étais déjà une insoumise à cet âge-là. J’étais mariée (sans son consentement, ndlr) dans une chefferie où j’avais plus d’une vingtaine de co-épouses. Un jour, j’ai enfermé mon mari à l’intérieur de la chefferie. J’exigeais son attention. J’ai fait mon petit numéro ce jour-là, dictant ma loi, faisant à ma tête. Dans les chefferies à l’Ouest-Cameroun, cet acte est un sacrilège, mais il n’y a rien qui m’arrête. J’ai ce caractère depuis la tendre enfance… On m’avait expulsée de la pire façon. J’en ai souffert, tout de même. C’était la disgrâce pour toute ma famille. Je ne savais pas que j’allais m’en remettre. Aujourd’hui, j’ai le titre de notabilité le plus élevé attribué à une femme dans toute la région de l’Ouest. A la chefferie Baham, je suis Maffo Sob-ngui (la reine qui assomme le lion, ndlr). A Fondjomekwet, chez mes grands-parents, je suis Maffo Mbu-Fo-Fo (la reine qui relève les rois).
Propos recueillis par Jeanine FANKAM