Le 08 mars dernier, vous avez été honorée à la Maison Blanche avec dix autres femmes d’horizon divers, dans une cérémonie présidée par la Première dame des Etats-Unis, Jill Biden. Comment vous sentez-vous dans la peau de « International Woman of Courage » ?
Effectivement le 8 mars dernier, j’ai reçu le prix de Femme-courage à la Maison Blanche. Il m’a été remis par la First Lady, en présence du secrétaire d’Etat Antony Blinken. C’est un grand honneur qui m’était fait. Je ne m’attendais pas à recevoir un jour, une telle distinction. Je n’ai accompli que mon devoir en ne faisant que mon travail. Je ne savais pas que j’accomplissais quelque chose de spécial… J’ai été relevée de mes fonctions après avoir bien fait mon travail. Cette situation était difficile à vivre à ce moment-là. D’être ainsi honorée par les Etats-Unis qui reconnaissent que j’ai respecté et appliqué le droit, est finalement une grande consolation. Je suis très fière de figurer parmi les femmes-courage.
Ce prix a lavé l’humiliation que j’ai subie. C’était une injustice, parce que, d’une part, je n’avais fait que mon travail. D’autre part, la décision prise à la Cour constitutionnelle d’invalider un projet de texte de modification de la Constitution a été prise à l’unanimité des juges de ce collège. Je n’ai pas compris pourquoi j’étais sanctionnée et surtout pourquoi j’ai été la seule à être sanctionnée alors que la décision est collégiale.
Qui vous a proposée à cette distinction ?
Je ne connais pas toutes les étapes qui conduisent à la sélection des candidates à ce prix. Je sais seulement que les femmes-courage sont d’abord proposées par les ambassades des Etats-Unis. Il y a donc eu plusieurs candidates venant de plusieurs pays, envoyées à Washington DC. C’est au niveau du département d’Etat qu’une deuxième sélection se fait. A partir de ce moment, j’ai été informée par l’ambassade des Etats-Unis à Bangui que je figure dans la liste des finalistes. Au finish, j’ai été retenue parmi les lauréates.
Il faut avouer que dans le contexte africain, vous avez pris tout le monde de court : refuser de valider un projet de révision de la Constitution sur lequel le pouvoir fondait l’espoir d’un troisième mandat était quand même audacieux…
C’était peut-être audacieux, mais c’est tout ce qu’il fallait faire. Je ne pouvais pas faire autrement. Le dossier était étudié avec tous les autres membres de la Cour et la décision prise ensemble. Nous n’avons fait que notre travail, celui de protéger la Constitution. Faire son travail dans la règle de l’art veut-il dire œuvrer pour sa déchéance ? Normalement, quand on a une mission à accomplir, il faut le faire dans le respect des textes. C’est ce que j’ai fait. C’est vrai qu’il y a un certain nombre de choses qui ne semblait pas aller dans la direction souhaitée par le régime qui a pris la sanction. En fait, il y a eu, pour mon cas, une confusion des pouvoirs. Tout ce que nous avons fait, c’était dans le sens de la protection de la loi fondamentale. Nous étions dans notre rôle. La Cour constitutionnelle qui est une haute juridiction n’est pas là pour plaire à telle personne ou tel régime ou plaire à l’opposition. Elle est là pour dire le droit et nous avons dit le droit.
On a l’impression que chez vous, le charisme est inné. Quel message pouvez-vous donner aux jeunes Africaines qui viennent de vous découvrir et qui vous admirent ?
Le charisme vient sans qu’on s’en rende compte. J’espère être un exemple de par le fait que je suis restée constante dans la volonté de bien faire mon travail, de le faire avec conscience. Je suis par la force des choses devenue un exemple. Mais chacune doit construire sa vie. Chacune a son parcours. Le plus important est de se fixer des objectifs et de se battre pour les atteindre. Si en chemin, on rencontre les obstacles, il ne faut pas baisser les bras, mais se battre pour les surmonter. Et même s’il arrive de chuter, on se relève, on rectifie le tir et on continue. C’est ainsi, à mon avis, qu’on peut arriver, non pas à construire son charisme, mais à bâtir sa vie.
Vous avez passé plus de 30 ans dans l’enseignement du droit. Vous venez de marquer l’histoire de votre pays et celle de l’Afrique. Quels sont vos prochains chantiers ?
J’ai quelques projets. Quand il y a de la vie, il y a de l’espoir. Je voudrais rester dans le domaine qui a construit ma vie : la recherche, les publications. Je suis sur le projet de rédaction d’un livre pour partager mon expérience, en tant que présidente de la Cour constitutionnelle. Je suis sûre que j’ai apporté quelque chose dans ce domaine. Je souhaite que ce soit connu, que ça reste pour l’histoire. J’ai aussi des projets d’enseignement. J’ai reçu des invitations dans ce sens de la part des universités africaines et américaines. J’ai des consultations en vue dans les domaines de la justice, de la démocratie, des élections, etc. Mon cheminement professionnel est un ensemble d’expériences que je peux mettre au service d’autres institutions et d’autres personnes pour faire progresser la démocratie. Ce sera ma manière d’apporter ma pierre à l’édifice dans ces domaines-là.
Propos recueillis par Jeanine FANKAM