Les explications du journaliste à Deutsche Welle et auteur de l’ « Essai pour la refondation du Tchad », (Harmattan, 2021).
Cela fait un an que Mahamat Idriss Déby est à la tête du Conseil militaire qui gouverne le pays à la suite du décès tragique du maréchal du Tchad. Quelles sont les avancées et les reculades de cette transition ?
Un an après le décès du maréchal Idriss Déby Itno et la mise en place du Conseil militaire de transition (CMT), le chaos prédit, y compris par moi-même, n’a pas eu lieu. C’est à mettre à l’actif du CMT qui a tôt fait d’associer les forces politiques représentatives du pays à la gestion de cette transition, en dépit des couacs constatés. Quelques jours seulement après le début de cette transition, une manifestation d’opposition contre les nouvelles autorités de la transition a été réprimée le 27 avril 2021. Bilan, beaucoup de morts. Aussi, Mahamat Idriss Déby Itno qui a succédé à son père, a-t-il donné beaucoup de gages de bonne volonté et d’ouverture depuis sa prise de pouvoir. Plusieurs rebelles qui ont combattu son père depuis trois décennies sont rentrés au bercail. Les manifestations pacifiques interdites sous le règne de son père et au début de celui du fils sont autorisées. On assiste à une libération de la parole. La liberté d’expression est devenue une réalité. L’apaisement aussi.
Le président du Conseil militaire de transition marque donc son règne par cette volonté de réconcilier les Tchadiens. Il initie même un dialogue inclusif, rassemblant tous les acteurs de la société, y compris, les rebelles les plus intransigeants. Tel que le processus se déroule, peut-on croire à la bonne foi des autorités en place ou s’agit-il simplement s’un calcul politique?
Il faut souligner que derrière cette volonté affichée par la junte militaire de créer les conditions d’une nouvelle ère politique, se cache des velléités de conservation du pouvoir. Certains fondements du dialogue national inclusif semblent sapés. En témoignent, les difficultés constatés lors du lancement du pré-dialogue de Doha avec les politico-militaires. Les autorités de la transition ont infiltré ces politico-militaires en y invitant des personnes sans envergure pour garnir leurs rangs. Toute cette cacophonie aura des impacts sur le respect du chronogramme de la transition qui est renouvelable une fois. Une prolongation de la transition semble inéluctable, au regard des retards enregistrés. Le CMT veut gagner du temps, afin de pouvoir dérouler son programme. La Charte de la transition n’a toujours pas été révisée. Et en l’état, rien n’empêche les autorités de la transition d’être candidates aux prochaines élections, notamment la présidentielle. Et c’est d’ailleurs l’une des exigences de la collation Wakit-Tama avant d’aller au dialogue national inclusif du mois de mai.
Qu’attend vraiment le peuple de ce dialogue ?
Le vœu de tous les Tchadiens, c’est qu’à l’issue de ce énième dialogue, de vraies élections soient organisées, pour que soit élu démocratiquement le futur président de la République. Or, le système Déby est resté intact: le Mouvement patriotique du Salut, son parti et l’armée clanique. Beaucoup craignent que le système reste en place. Donc un an après, le système a bien manœuvré en posant des actes, sur le plan théoriques, qui montrent sa bonne foi. Une stratégie qui, au final, lui permettra de rester en poste. Car, à l’issue du dialogue national, le système pourra drainer tous les anciens rebelles qui vont rentrer au bercail. Malgré les écueils, la réconciliation nationale tant attendue et voulue aura lieu. Même si c’est en dents de scie. Car, tous les acteurs (rebelles et acteurs politiques) sont fatigués. Tout le monde veut aller á la paix.
Voulez-vous par là dire que la météo politique au Tchad ne permet pas aujourd’hui d’envisager, dans les délais promis, un retour à l’ordre institutionnel ?
La transition sera reportée. Car, le chronogramme ne sera pas respecté. Il accuse déjà d’énormes retards. Le financement promis par les bailleurs internationaux n’est toujours pas disponible, le dialogue national du 10 mai est incertain, toujours pas d’accord avec les politico-militaires. Et même après le dialogue national, il reste encore d’autres étapes à franchir avant la tenue d’élections générales. On va assister à une prolongation de la transition. Et puis, l’armée au Tchad est clanique. Elle est dirigée jusqu’à la mort du maréchal du Tchad par l’actuel chef de la transition. C’est une armée acquise au clan Déby. Comment le futur président de la République élu pourra-t-il gouverner, si ce n’est pas un membre du clan ? Car, cette armée dans l’armée obéit à un homme : Mahamat Idriss Déby Itno.
Le premier anniversaire du Conseil militaire de transition au Tchad intervient au moment où la lutte contre le terrorisme au Sahel amorce un virage délicat avec le démantèlement de la force barkhane au Mali. Les questions tchado-tchadiennes ne risquent-elles pas de reléguer ce défi de la lutte contre le terroriste (dont le Tchad est un des piliers) au second plan ?
Je ne pense pas. La stabilité du Tchad et la lutte contre le terrorisme vont de pair. La communauté internationale ne laissera pas le Tchad sombrer dans le chao. C’est pourquoi, elle a adoubé le fils Déby qu’elle aidera par tous les moyens à conserver le pouvoir au nom de cette lutte contre le terrorisme. Car, si le Tchad sombre dans le chaos, c’est toute la bande sahélo-saharienne qui va sauter. Les Français et la communauté internationale se battront pour que le verrou Tchad reste intact.
Propos recueillis par Jeanine FANKAM
Eric Topona Mocnga : « Le système a bien manœuvré en posant des actes, sur le plan théorique, qui montrent sa bonne foi ».