On dirait que toute la personnalité de Danièle Darlan est cachée dans la lettre qu’elle a adressée, le 27 octobre 2022 au chef de l’Etat de la République centrafricaine. Elle brisait le silence après son éviction de la présidence de la Cour constitutionnelle de Bangui par le président Faustin-Archange Touadéra. La lettre ressemble à un cours de droit constitutionnel de la magistrate à l’attention de celui qui incarne la magistrature suprême du pays. On dirait aussi une mise en garde d’une juriste résolue à dire le droit une dernière fois, avant de libérer le plancher. Danièle Darlan dénonce la manière dont elle est poussée à la porte, mais surtout elle tient à décrier une situation qu’elle trouve injuste et en marge de la loi.
Droite dans… sa toge, elle écrit au président de la République pour l’aviser du fait que les décrets signés de sa main qui l’ont fait tomber avec un de ses collègues (le juge Trinité Bango Sangafio), n’ont « pas de base légale ». « Ils sont inconstitutionnels, violent le statut des juges constitutionnels et les dispositions relatives à leur mandat », renseigne-t-elle en s’étendant sur les cas dans lesquels les pouvoirs des juges constitutionnels prennent fin : décès, démission, empêchement définitif dûment établi (manquement grave, incapacité).
Dans cette missive, on dirait qu’à son tour, Danièle Darlan expose celui qui vient de l’humilier en la débarquant d’un poste électif. Il faut une certaine audace pour se décider à le faire. Ce faisant, elle étale son intrépidité et assume son indépendance. D’ailleurs, elle souligne les conséquences des décrets dénoncés. « Les nouveaux juges seront désignés sur une base illégitime… les décisions auxquelles ils participeront seront viciées… Ce qui va entacher la crédibilité de l’institution », regrette l’auteur dans de trois pages aux braises ardentes.
La fierté que Danièle Darlan y affiche est décapante. Un peu comme si elle voulait dire que sa déchéance n’entache pas sa personnalité. Voulait-elle aussi dire qu’aucun décret ne peut lui enlever sa notoriété ou effacer ses réussites professionnelles ? De toutes les façons, on la voit, tout au long de sa lettre garder la tête haute et afficher la satisfaction du devoir accompli.
« J’ai toujours été d’une grande sincérité avec vous dans les informations juridiques que j’ai pu vous apporter et je n’ai pas démérité dans l’exercice de mes fonctions. Sous ma présidence, la Cour constitutionnelle s’est forgée une renommée et un respect dépassant nos frontières », se félicite-t-elle.
Le 30 mars 2021 à Bangui, en prenant acte du serment du président Faustin-Archange Touadéra pour l’exercice de son deuxième mandat, serment dans lequel il jurait devant Dieu et la Nation d’observer scrupuleusement la constitution de la République centrafricaine, de ne jamais modifier le nombre ni la durée de son mandat, Danièle Darlan, l’encourageait en ces termes : « N’écoutez pas le chant des sirènes, ceux qui tenteront, pour servir leurs propres intérêts, de vous amener à vous éloigner de ce pourquoi le peuple vous a élu, qui tenteront de vous détourner de l’essentiel qui est la République et son peuple… ». Le serment a-t-il été oublié ? Darlan est resté magistrate, garante du respect de la loi et du serment prononcé. Elle est donc restée indépendante.
Dans son édition de décembre 2022, Jeune Afrique la citait parmi « les 30 qui font l’Afrique de demain ». Son mérite : « face à Faustin-Archange Touadéra, la magistrate n’a pas fléchi, arbitrant avec conviction, une bataille au sommet de l’Etat ». En effet, l’an dernier, la Cour suprême de la RCA avait invalidé le projet d’une réforme de la loi fondamentale proposée par le pouvoir. Cet acte de bravoure, réprimandé à Bangui, a été récompensé à Washington où Danièle Darlan a été honorée le jour de la célébration de la Journée internationale de la femme avec le prix international de la femme courage dans une cérémonie présidée par la Première dame des Etats-Unis, Jill Biden. Le prix récompense les femmes du monde ayant fait preuve d’une force exceptionnelle dans la défense de la paix, de la justice, des droits de l’Homme.