Trois jours de négociations sur une équation politico-juridique que les techniciens n’avaient ni prévu, ni qualité pour résoudre.
Vers 16h30 samedi dernier, la séance plénière de la réunion conjointe CEA-UA des experts africains en charge de l’économie, de la planification et des finances reprend. Toutes les attentions sont suspendues aux lèvres du Sénégalais Pierre Ndiaye, président du bureau entrant. Les délégués de tous pays africains, des dizaines d’experts indépendants et les journalistes sont d’autant plus impatients que la séance est suspendue depuis la veille. Plus grave, les travaux n’ont plus avancé depuis l’ouverture solennelle deux jours avant, suite aux positions inconciliables nées de la présence de la République arabe sahraouie démocratique contestée par le Maroc. Seuls contre tous, le Maroc s’accroche sur un détail réglementaire depuis le premier jour : les textes des Nations unies ne permettent pas à un Etat non membre (la République arabe sahraouie démocratique) de participer à une réunion lorsque sa présence est contestée. Pierre Ndiaye délivre finalement le message du secrétariat technique CEA-UA. De commun accord, les deux institutions viennent de décider l’annulation de la réunion des ministres, celle des experts n’ayant pas, à proprement parlé, eu lieu. La salle est froide, le silence total. Les milliers de participants sont comme tétanisés et hypnotisés sur leurs sièges. La nouvelle, terrible, a assommé tout le monde. L’impasse se dessinait depuis le premier jour, mais les participants la conjuraient dans l’espoir que les questions fondamentales prévaudraient sur la réserve juridique soulevée.
Certains délégués reprennent leurs esprits et demandent la parole. Mais l’émotion est réelle dans les interventions de la Lybie, la République de Guinée, l’Algérie, le Nigeria, le Sénégal. Les uns et les autres expriment la désolation d’un tel dénouement. Les mots sont durs, mais mesurés. Les pays expriment la déception, dénonce la trahison, le piège, le légalisme servile. Ils regrettent le gaspillage des ressources financières et de l’énergie. Ils fustigent la division et l’intolérance dans une réunion de l’Union africaine où on prêche l’intégration, le développement et l’union. « Un seul Etat a tenu en échec l’esprit panafricain », a déploré le Zimbabwe. « L’esprit d’union a succombé sous nos yeux et cela se passe sur la terre africaine. Nous venions pourtant réfléchir pour ces milliers de pauvres et pour cette valeureuse jeunesse qui meurt par milliers en traversant la méditerranée. Leurs intérêts ont été mis en minorité, s’est indigné l’Afrique du Sud qui croit qu’on est dans une embuscade. L’Algérie regrette les positions tranchées qui empêchent d’évoquer les souffrances. La RASD invite à garder une foi inébranlable pour l’union de l’Afrique. Le Sénégal croit que de cette épreuve sortira une Afrique plus aguerrie avec des institutions fortes. Les interventions sont applaudies. Le Maroc se défend et clame que « certaines parties ont empêché la tenue de la réunion à cause du non respect des lois et procédures ». Mais les carottes sont cuites. L’incident crée un précédent et plusieurs délégués ont souhaité que cela ne se répète plus.
Jeanine FANKAM, à Dakar