Soundiata Keïta (1190-1255) est l’une de ces légendes dont l’épopée guerrière a marqué l’histoire africaine. Idriss Déby Itno serait-il de cet acabit ? Nous n’exagérons rien. Les oraisons funèbres qui l’ont accompagné à sa dernière demeure ressortent une identité remarquable, laquelle autorise une comparaison osée avec le fondateur de l’empire du Mali. Qu’on se comprenne bien : des manquements du défunt président sur les plans de la démocratie et du respect des droits de l’Homme ont inondé la presse étrangère et africaine. Mais l’unique chef d’Etat au monde qui abandonne le douillet confort du palais pour pourchasser les rebelles séditieux dans le désert sec et chaud de son pays a aussi marqué son temps. Le maréchal du Tchad a montré que le pouvoir au sommet n’est pas un cachot doré. En prouvant que la fonction présidentielle n’est pas incompatible avec le métier de soldat, l’Africain a fait bouger les lignes.
Comme le souverain de l’Afrique de l’Ouest médiévale, Idriss Déby Itno présidait aux destinées d’un peuple. L’un et l’autre étaient de grands soldats. L’histoire raconte que les Mandingues font encore aujourd’hui des sacrifices à la mémoire de Soundiata Keïta. Un discours saisissant à N’Djamena, le vendredi 23 avril 2021, décrivait l’homme d’Etat comme « un glorieux soldat, intrépide guerrier, debout et invincible devant tout péril ». Quelques médias ont salué la bravoure de ce président de la République atypique, prêt à descendre au front. D’autres prétextaient qu’il défendait son pouvoir, face aux appétits des envahisseurs déterminés. Ceux qui soutiennent cette thèse ont-ils oublié l’expédition de Boma, l’offensive militaire contre Boko Haram, baptisée « Colère de Boma » lancée le 29 mars 2020 ? Le Général-chef d’Etat (il était encore général) avait lui-même pris le commandement, dirigeant les opérations depuis l’île de Kaïga-Kindjiria. En face, il affrontait les hommes d’un redouté Abubacar Shekau qui envoyait des messages à ses troupes, leur demandant de résister à l’offensive.
Pour rappel, des soldats tchadiens étaient tombés le 23 mars 2020, lors d’une incursion de Boko Haram contre la base de Bahama, sur l’île du lac Tchad : 98 morts ! Bilan jamais enregistré par l’armée tchadienne dans un combat contre les djihadistes. Idriss Déby Itno avait promis une « réplique foudroyante » en allant venger ses « éléments » quelques jours plus tard, le 31 mars, à la tête d’un déploiement de 6 000 hommes.
Au moyen âge, Soundiata Keïta avait implanté dans son royaume, une solide organisation de l’armée. Celle du Tchad n’est pas moins forte et respectée sur l’échiquier international. On dit d’elle qu’elle est une armée aguerrie, expérimentée, conquérante. Elle est à l’avant-garde des questions sécuritaires au Tchad. L’armée tchadienne lutte aussi contre les insurgés islamistes dans la région du lac Tchad et du Sahel. Les Nations Unies ont recours à elle pour renforcer les missions de maintien de la paix.
Les contes africains et les livres d’histoire ont transmis les prouesses de Soundiata Keïta, de génération en génération. Les exploits du soldat-président Idriss Déby Itno ont toutes leurs chances de traverser autant les âges. « Le Maréchal du Tchad est désormais parti », mais la vaillance de « l’intrépide guerrier » le rappellera aux souvenirs, en Afrique et ailleurs. Ceux qui trouvent toujours à critiquer se demandent ce qu’un président de la République faisait au champ de guerre, aux côtés des généraux? On pourrait répondre par une autre question : Que font les chefs d’Etat au stade de football, aux côtés des entraîneurs, lors des grandes confrontations impliquant leurs pays? Encore qu’au front, ce n’était une partie de plaisir pour l’officier suprême de l’armée qu’était Idriss Déby Itno.
Soundiata Keïta est mort en 1255, tué d’une arme de guerre (flèche). Parmi les versions relatives à sa mort, certaines relatent qu’au front, la flèche l’a atteint accidentellement, pour d’autres, c’était par traîtrise. Le souverain mandingue est mort sexagénaire, Idriss Déby aussi : 68 ans. Pour ceux qui connaissent l’histoire du fondateur de l’empire du Mali, lui aussi n’était pas arrivé au pouvoir par un vol… « d’oiseau » !
Soldat-président, Idriss Déby Itno a incarné quelque chose de singulier que seuls, les Africains, pourraient mieux valoriser. Dans son hommage d’adieu, Hinda Déby Itno, la veuve estimait qu’« il revient aux générations actuelles et futures de s’abreuver aux sources intarissables de ses valeurs sublimes ». Idriss Déby laisse au monde entier cet héritage atypique du soldat-président.
Jeanine FANKAM, Présidente JAFEC