Catherine Samba-Panza, ancien Chef d’Etat de la Transition de la République centrafricaine.
Madame Catherine Samba-Panza, où allez-vous célébrer ce 8 mars 2021, Journée Internationale de la Femme (JIF) ?
Comme vous le savez, la pandémie du Covid-19 continue de tenir le monde sous son emprise. Le virus continue de se répandre, y compris en Afrique, avec l’apparition de diverses variantes plus virulentes. Il est donc absolument vital de continuer à respecter les mesures restrictives et éviter des activités grand public en présentiel, notamment l’organisation de grandes rencontres comme par le passé, lors des célébrations du 8 mars. C’est pourquoi, cette année, l’Observatoire panafricain pour le leadership féminin (OPALEF) que je préside a décidé de célébrer cet évènement en tenant compte de ces contraintes sanitaires. Les activités seront plus sobres. Il a donc été prévu une déclaration de la présidente de l’OPALEF à l’endroit des femmes d’Afrique et une table-ronde, inter-associatifs autour du thème : « Les femmes dans le contexte du Covid-19, comment survivre à cette crise ? ». Ces activités se dérouleront en présentiel à Lomé (30 personnes) et en Zoom dans les autres pays. Le 12 mars 2021 seront organisées des discussions par Webinaire, sur le thème : « Parité, Autonomisation et Développement ».
Quelle importance donniez-vous à cette fête à l’époque où vous assuriez la magistrature suprême ?
En accédant à la magistrature suprême de l’Etat, j’ai tout de suite exprimé ma volonté de promouvoir les femmes centrafricaines, étant moi-même femme engagée depuis plusieurs années dans le combat pour l’égalité des droits des hommes et des femmes. Durant mes deux années à la tête de la Transition, la promotion des femmes a donc été une préoccupation constante. J’ai en effet pensé que personne ne comprendrait qu’une femme soit à la tête du pays et qu’elle ne fasse pas la promotion des femmes. C’est cette conscience de mon devoir envers les femmes qui m’a guidée dans la mise à contribution des femmes de mon pays dans l’action de redressement de la situation dont j’avais hérité et qui était fort complexe et difficile. J’ai donc tenu à marquer mon passage à la tête de l’Etat par une politique active de promotion de la femme aux diverses structures de prise de décision. A cet égard, j’avais insisté pour que la célébration du 8 mars 2014 ait un éclat particulier, puisqu’elle intervenait quelques semaines après le tournant historique que la RCA a amorcé avec l’élection de la femme que je suis à la magistrature suprême de l’Etat. Par la suite, je voulais que soit véritablement engagée, lors de cette journée, une réflexion sur les voies et moyens d’une plus grande implication des femmes sur les questions cruciales engageant la vie de la nation mais surtout dans la recherche et la consolidation de la paix dans mon pays.
En Afrique, comment pourrait-on capitaliser une célébration comme la Journée Internationale de la Femme (JIF) ?
La célébration du 8 mars doit être l’opportunité de dresser le bilan des progrès réalisés dans la promotion de l’égalité du genre et de proposer des orientations de changements nécessaires. Cette journée devrait interpeller l’Afrique et ses gouvernants à aller au-delà des discours, en traduisant les paroles en actes concrets, en prenant les décisions courageuses en faveur des femmes et en affectant les ressources appropriées, si elle souhaite réellement modifier la vie de ses femmes. Il convient donc pour chaque pays du continent de s’engager à appliquer pleinement les politiques de promotion du genre tout en pérennisant les acquis. Par ailleurs, le continent africain est ravagé par une multitude de conflits de toutes sortes. Les processus de paix et les stratégies de réconciliation nationale et de cohésion sociale pour sortir de ces conflits doivent s’articuler autour d’initiatives locales et nationales inclusives, nécessaires pour apaiser les conflits et construire des ponts entre les différentes populations divisées par la crise. A cet égard, les femmes africaines ont un rôle important à jouer. La célébration du 8 mars doit être l’occasion d’une prise de conscience de la nécessité de les impliquer dans les divers processus de construction et de consolidation de la paix, conformément à la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Vous avez récemment alerté l’opinion sur le retrait de votre passeport à l’aéroport de Bangui. Que vous reprochait-on ?
En effet, le dimanche 17 janvier 2021, j’ai été empêchée de sortie du territoire national à l’aéroport de Bangui alors que je faisais les formalités d’embarquement pour aller prendre part à une réunion à Dubaï et dans le même temps mon passeport m’a été retiré par les autorités aéroportuaires. Aucune explication ne m’a été fournie sur les raisons de ces mesures puisqu’aucune notification écrite portant les griefs qui pouvaient les justifier ne m’a été faite. J’ai alors considéré ces mesures d’interdiction de sortie injustifiées auxquelles j’ai été soumise comme illégales. Elles s’apparentaient plus à des représailles contre une candidate qui a signé, avec un collectif d’autres candidats, un communiqué de presse ne reconnaissant pas les résultats provisoires de l’élection présidentielle du 27 décembre 2020, qui ont déclaré élu au premier tour le président sortant, Faustin Archange Touadera, compte tenu de nombreuses irrégularités ayant émaillé le processus électoral. Cette remise en cause ne saurait constituer un acte d’opposition pouvant justifier les restrictions à ma liberté de circulation. A la suite de nombreuses réactions venant de toute part, les autorités centrafricaines ont ordonné la restitution de mon passeport.
Vous vous êtes présentée à la dernière présidentielle en tant que personnalité indépendante. Quel message voulez-vous passer ?
On n’est pas obligé de disposer d’un parti pour être candidat à une élection. Car une élection, présidentielle ou législative, en tous cas une élection au suffrage universel, engage avant tout un individu et une collectivité humaine, dans le cadre d’une transaction politique : on formule une offre, si celle-ci correspond aux aspirations des électeurs, alors ils accorderont leurs suffrages. S’agissant de mon message politique, ma conscience de citoyenne centrafricaine et de femme leader a pesé de tout son poids dans les réflexions que je nourrissais face à la situation du pays depuis plusieurs années. Je ne pouvais me soustraire à ce qui est apparu à mes yeux comme un devoir. J’ai donc formulé à l’attention de mes compatriotes un projet politique novateur et porteur. Les nombreux appels émanant de tous les milieux et provenant de toutes les sensibilités et catégories sociales sont venus renforcer ma décision de m’engager pour mon pays et mes compatriotes. Au regard du bilan plutôt mitigé, en dépit de la voie tracée par la transition que j’ai dirigée, je me suis portée candidate pour remettre le pays sur les rails en impulsant une autre façon de gouverner, centrée sur les préoccupations des Centrafricains et fondée sur le respect des valeurs républicaines qui garantissent un vivre ensemble de tous les Centrafricains, sans exclusions. C’est ce qu’a signifié la signature de ma campagne : « Gouverner efficacement », et le sens du message qui transpire dans ma profession de foi et le manifeste adressés aux Centrafricains.
Où étiez-vous mardi 12 janvier dernier lorsque Bangui s’était réveillée avec des détonations et comment avez-vous vécu ces moments ?
Ce jour, j’étais dans ma Résidence à Bangui. Il me plaît de rappeler que j’ai vécu, en étant dans le pays, toutes les crises qui ont émaillé la RCA depuis une trentaine d’années. Je suis donc en mesure de parler de leur intensité, de leur complexité et de leurs conséquences sur les populations et sur le pays. C’est d’ailleurs à ce titre que j’ai souvent été impliquée dans les divers processus de sortie de crise, notamment de médiation, de dialogue et de réconciliation nationale. Malgré ces expériences, je vis toujours ces moments de conflits avec beaucoup d’anxiété, ayant conscience de leurs conséquences sur les populations innocentes et sur la stabilité et le développement du pays. Ce mardi 12 janvier mes pensées sont surtout allées vers les femmes et les enfants obligés de fuir leurs domiciles dans des conditions humanitaires déplorables et de toutes les victimes de cette nouvelle crise qui devenait une réalité que personne ne voulait d’admettre.
Quelle lecture avez-vous des troubles quasi-permanents en RCA et qui en sont, selon vous, les instigateurs ?
L’analyse des conflits en RCA laisse apparaître que le pays était déjà confronté à divers défis et enjeux que la mauvaise gouvernance, l’impunité, la corruption et la fragilité sécuritaire depuis une trentaine d’années ont aggravés. Par ailleurs, l’inefficacité de l’administration à répondre aux besoins des populations, le développement de la méfiance au sein des acteurs politiques et entre les Communautés, le manque de dialogue et de cohésion sociale ont exacerbé le repli identitaire. Sans oublier le développement de l’exclusion marquée par l’inégale répartition des projets de développement entre les régions qui a entrainé une pauvreté massive aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain.
Par quel bout doit-on envisager la pacification de la RCA dont les deux tiers du territoire sont occupés par les rebelles ?
Le dialogue et la réconciliation nationale demeurent des enjeux cruciaux pour la pacification du pays. Il est nécessaire de relancer le dialogue entre tous les acteurs politiques, les forces vives de la nation et les groupes armés pour envisager des solutions consensuelles aux différents problèmes qui minent le pays. Pour que les rébellions en butte contre le pouvoir légalement établit libèrent les pans entiers du territoire occupé par ces derniers, il faut réinstaurer un dialogue. Dialoguer veut dire aussi refonder l’Accord de Khartoum pour le rendre plus inclusif et contraignant. A ce propos, il est regrettable que l’Accord de Khartoum qui constitue un des instruments pour garantir la paix soit constamment violé par ses signataires. En effet, l’Accord de Khartoum qui se voulait un instrument pour la paix contient des nombreuses faiblesses qui justifient que ses signataires puissent si facilement en violer les termes. C’est en dialoguant que nous parviendrons à libérer les territoires occupés et à ouvrir les chemins de la paix et de la concorde nationale.
Quel soutien pouvez-vous apporter au président de la République dans la perspective de l’apaisement du climat politique et de la construction de votre pays ?
Dans l’intérêt supérieur de la paix et de la concorde nationale, j’ai pris acte du verdict de la Cour constitutionnelle qui a déclaré élu au premier tour le Président de la République. Tout en rappelant que le pays traverse actuellement une crise multiforme, susceptible de conduire à une impasse, j’ai vivement encouragé le Président de la République élu à convoquer dans un bref délai une concertation des forces vives de la nation en vue de rechercher les solutions durables à cette crise. En tant que Femme de dialogue et de paix, je me suis déclarée disponible pour apporter ma modeste contribution dans le cadre d’un processus visant à la promotion des voies de réponse aux défis divers qui se posent très violemment à notre peuple et à notre pays.
Après votre échec à la dernière présidentielle, comment envisagez-vous désormais votre avenir politique ?
Pendant des mois, mon équipe et moi avons œuvré ensemble pour parvenir à la victoire aux dernières élections. Dans un contexte électoral particulier, émaillé d’insécurité et d’irrégularités dans le processus, notre tâche a été particulièrement ardue. Avec beaucoup de courage, de passion, d’acharnement et surtout de patriotisme, nous avons pu ensemble relever le défi de participer à ces élections, dans les conditions logistiques, sécuritaires et financières difficiles. Nous avons pris des risques, fait des choix, pris des décisions pour l’intérêt de tous. Les résultats auxquels nous sommes parvenus au regard des difficultés rencontrées ne sont pas à la hauteur de nos attentes. Nous nous devons donc d’avoir un regard serein mais critique et prendre le temps de faire une analyse objective du contexte général, de notre organisation interne et des actions menées pour en tirer les leçons qui s’imposent. Quoiqu’il en coûte, je continuerai à mener des réflexions citoyennes et à participer aux débats publics et politiques sur les enjeux politiques, socio-économiques et sécuritaires de la nation en vue de promouvoir la bonne gouvernance, la démocratie et la paix, pour un développement durable de mon pays.
Sur la base de votre expérience au sommet de l’Etat, avez-vous pensé à réveiller l’émergence d’un leadership politique féminin en Afrique centrale ?
Je dis souvent aux femmes africaines d’avoir toujours à l’esprit cette maxime : aux politiques des femmes, il faut des femmes politiques ! En langage simple, cela veut dire qu’il est nécessaire de faire naître des femmes leaders politiques car quand les femmes ont le pouvoir politique, elles peuvent promouvoir plus de pouvoir social, politique et économique pour les autres femmes.
Le leadership politique féminin nécessite non seulement qu’il faut renforcer les capacités des femmes, augmenter leur nombre dans l’espace politique mais surtout les organiser dans des réseaux de partage de leurs expériences afin que les femmes soient plus présentes dans la gestion des affaires publiques et que leurs voix soient de plus en plus entendues. J’ai voulu ainsi prêcher par l’exemple en étant candidate aux dernières élections dans mon pays et en parrainant plusieurs candidatures féminines aux élections législatives.
Mais j’en conviens, ces plaidoyers pour obtenir plus de participation des femmes dans l’espace politique doit se faire non seulement en Centrafrique mais aussi dans d’autres pays du continent africain et en Afrique centrale. J’ai ainsi mené des activités de promotion du leadership politique féminin en RDC, au Gabon et au Burundi. Je suis aussi fortement engagé dans le programme Amujae Initiative, lancé par ma sœur la présidente Ellen Johnson Sirleaf du Libéria. Nous y travaillons de concert pour la formation de la prochaine génération des femmes leaders publiques du continent. Il serait souhaitable de penser à dupliquer une telle expérience en Afrique centrale.
Il y a eu des expériences au Liberia, en Ethiopie, avec la femme au sommet de l’Etat. Il y a aujourd’hui en Afrique, des femmes Premiers ministres. Quels résultats concrets ce changement progressif de paradigme apporte-t-il au continent ?
Les femmes africaines sont de plus en plus aptes à affronter les facettes politiques, économiques, scientifiques, technologiques et environnementales de la compétition mondiale pour la transformation du continent.
L’Afrique attend donc de voir ses filles se lever pour prendre en mains la destinée de leurs pays pour que le continent se porte mieux. L’Afrique attend de voir davantage des femmes dans la gouvernance politique de leur pays pour que le continent réalise l’Agenda 2063 et les Objectifs de Développement Durable. Si on fait confiance aux femmes africaines et qu’on les responsabilise pleinement, elles peuvent donner le meilleur d’elles. La qualité du leadership féminin est devenue un enjeu majeur dans la réussite du développement, de l’enracinement du processus démocratique et d’une paix durable. Cette nouvelle dynamique permettra aujourd’hui de faire entendre la voix des femmes sur les questions de paix et de participation féminine à la gouvernance politique
Nous nous réjouissons donc de voir des femmes africaines de valeurs aux plus hauts niveaux des centres de prises de décisions qui dans l’accomplissement de leur mission vont apporter un changement positif dans la transformation du continent et en faveur des populations confrontées à toutes sortes de défis dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’économie, de l’environnement et de la sécurité.