Opposante politique dans une Côte d’Ivoire de parti unique, elle a bravé diverses épreuves et est considérée comme l’une des plus grandes femmes politiques de son époque.
Lorsqu’elle est libérée, début août 2018, après sept ans de prison à la faveur d’une grâce présidentielle, les Ivoiriens de tous bords politiques se demandent à quoi ressemblera désormais la vie de Simone Ehivet Gbagbo, ancienne première dame de Côte d’Ivoire. Comment celle qui avant son arrestation en avril 2011 était une militante politique très investie et influente, à l’agenda débordant, va-t-elle désormais meubler ses journées ? Pendant ses années de détention Simone Ehivet Gbagbo avait trouvé refuge dans la lecture. Choix naturel pour l’enseignante de Littérature. Chrétienne évangéliste, elle priait et lisait beaucoup la Bible. L’un des pasteurs qui lui rendaient régulièrement visite avait déclaré à Jeune Afrique : « La religion l’a aidée à comprendre et à analyser son histoire politique ainsi que les erreurs qu’elle a pu commettre, avec ou sans son mari. »
Le chemin pris par Simone Gbagbo, femme politique de gauche, militante et combattante engagée depuis les années 70 dans une Côte d’Ivoire de parti unique (le PDCI de Félix Houphouët-Boigny) lui ouvrait forcément les portes de la prison, estime un journaliste ivoirien. Née le 20 juin 1949 à Moossou dans la commune de Grand Bassam, Simone Ehivet, fille de gendarme est la deuxième née d’une fratrie de 18 enfants. Son cursus universitaire se déroule en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en France, sanctionné par un Doctorat de Troisième cycle en littérature orale.
Si Simone Ehivet est une étudiante studieuse et brillante, elle est aussi une militante déterminée dont l’engagement commence très tôt. Membre des Jeunesses estudiantines catholiques (JEC), elle dirige la branche féminine de 1966 à 1970. Elle affirmera que c’est de là qu’est née son orientation politique, la gauche. C’est donc tout naturellement qu’elle rejoint en 1972, un groupe révolutionnaire clandestin appelé « Cellule Lumumba ». Enseignante, elle adhère au Synesci (Syndicat de professeurs de lycée) et au Synares (Syndicat de professeurs d’université) dont elle prendra ensuite la tête. Elle fait de « l’ivoirisation » des programmes d’enseignement une de ses plus grandes batailles. C’est pendant ces années qu’elle commence à côtoyer le milieu politique où elle fait la connaissance de certains de ses futurs camarades, dont Laurent Gbagbo.
Ils se rencontrent en 1973. Rapprochés au départ par leur idéologie politique, les deux enseignants vont ensuite entretenir une relation personnelle. Ils partagent en effet les mêmes idées, ont la même vision, et défendent le même idéal. Ça marche sur tous les plans. Leur admiration est mutuelle et c’est bon pour leur combat commun. Laurent Gbagbo, professeur d’histoire au Lycée d’Abidjan, révoqué pour « convictions communistes », sort tout juste d’un internement en camp militaire. Peu importe. Résolus, ils poursuivent leur lutte, ce qui vaudra à la syndicaliste des séjours en prison dans les années 1970-1980. Très active, elle participe aux mouvements de grève de l’enseignement en 1982. La même année, avec d’autres camarades, ils lancent dans la clandestinité ce qui deviendra le FPI, le Front Populaire Ivoirien. Simone, évidemment présente à ces assises, devient membre du bureau national chargée de la formation politique des militants et des questions agricoles.
Le FPI dérange et ses idées ne sont pas bien accueillies dans un système de parti unique. Le président Houphouët-Boigny met alors en route l’appareil répressif. Gel parfois des salaires des enseignants, pression de la police… Mais Simone et ses amis se dressent comme ils peuvent. Laurent Gbagbo est contraint à l’exil et s’installe en France. Simone élève alors les jumelles du couple seule, mais continue de militer au parti que le pouvoir n’a pas réussi à décapiter complètement. C’est une véritable épreuve pour elle, mais elle ne désarme pas.
Winnie Mandela ivoirienne
L’analyste politique ivoirien Sylvain Nguessan que JAFEC a joint, compare le parcours de Simone Gbagbo à celui de la Sud-Africaine Winnie Mandela. « Elle est l’une des meilleures femmes politiques de son époque, malgré quelques faiblesses au niveau stratégique de son parti. Comme Winnie Mandela, elle est déterminée et courageuse. Je suis admiratif. Elle a aussi comme Winnie, subi des humiliations personnelles avec son mari, des accusations infondées et des campagnes de sabotage des médias étrangers qui l’ont peinte en démon. Ce qui est inexact », argumente l’analyste. Deux ans avant le multipartisme, Laurent Gbagbo revient en Côte d’Ivoire en septembre 1988 et organise deux mois plus tard et discrètement, le congrès constitutif du FPI. Là encore, celle qui deviendra officiellement sa femme le 19 janvier 1989, y participe. La vie de Laurent et Simone Gbagbo est désormais plus qu’intimement liée en politique comme en privé.
L’instauration du multipartisme en avril 1990 permet enfin l’organisation d’élections pluralistes. Mais Simone Gbagbo qui se présente pour le compte du FPI aux législatives de novembre 1990 est battue, de même qu’aux élections municipales de décembre. Le FPI désormais reconnu, poursuit néanmoins ses activités politiques, même si le multipartisme cherche difficilement sa voie. Le 18 février 1992, Simone Gbagbo est arrêtée lors d’une manifestation qui dégénère et conduite dans un camp militaire, où elle est violemment frappée. Laurent Gbagbo son mari, subit des humiliations. Simone et Laurent Gbagbo seront ensuite détenus pendant six mois, et jugés pour tentative de subversion avant d’être graciés par le président Houphouët-Boigny. C’est pendant cette détention que Simone Gbagbo qui s’était éloignée renoue avec la foi chrétienne.
Après la mort du président Houphouët-Boigny, elle est élue députée en 1995 et devient présidente du groupe parlementaire FPI à l’Assemblée nationale et vice-présidente de la Chambre. Après des années de rudes batailles, d’affrontements politiques et d’épreuves, Laurent Gbagbo est élu président de la République en octobre 2000. Simone devient première dame de Côte d’Ivoire, tout en restant une figure influente et respectée du parti. Elle utilise ses nouveaux moyens pour multiplier des actions caritatives.
Humble et naturelle, son train de vie n’a visiblement pas changé et elle reste proche de ses concitoyens mais pas discrète. Considérée comme une conseillère de l’ombre de son mari, elle s’exprime aussi ouvertement sur la politique de la Côte d’Ivoire, sans jamais le contredire ni chercher à lui faire de l’ombre. Simone Gbagbo incarne la ligne dure de la présidence ivoirienne. Elle appelle les Ivoiriens à soutenir son mari, tout en cherchant des soutiens auprès des évangélistes américains et israéliens. Après la chute de Laurent Gbagbo à l’issue de la violente crise post-électorale de 2010-2011, Simone Gbagbo est arrêtée et son mari est transféré à la Cour pénale Internationale. Le couple est à nouveau séparé.
Simone Gbagbo peut-elle rebondir ? A cette question Sylvain Nguessan déclare : « Elle n’a pas dit son dernier mot. Je pense qu’elle se prépare à la bataille de la reconquête interne du FPI. Elle en a la légitimité historique après 40 ans d’humiliation et de misère. Et elle ne manque pas de soutien au sein du parti, si jamais elle le souhaitait ».
Depuis sa sortie de prison, Simone Gbagbo semble soigner son image. Combattante à vie ? A 71 ans, mère de cinq filles qui maintient le suspense sur son avenir reste une figure politique redoutée et redoutable.